Jurisprudence récente sur le divorce pour altération définitive du lien conjugal

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal permet de mettre fin à un mariage lorsque la vie commune a cessé depuis au moins deux ans. Mais comment les juges interprètent-ils concrètement les dispositions légales relatives à ce type de divorce contentieux ? Plongeons dans la jurisprudence récente pour mieux comprendre les subtilités de ce motif de rupture du mariage.

Prouver la cessation de la communauté de vie pendant 2 ans

Pour obtenir le divorce pour altération définitive du lien conjugal, il faut démontrer que les époux ont cessé de cohabiter et de maintenir une vie de couple depuis au moins deux années consécutives. Cette cessation de la communauté de vie doit être continue. Elle peut être prouvée par tous moyens : témoignages, courriers, documents officiels indiquant des domiciles distincts…

Les torts éventuels des conjoints, comme l’abandon du domicile conjugal par l’un d’eux ou l’adultère, ont peu d’influence. La Cour de cassation a ainsi jugé que les époux ayant continué à résider séparément malgré une brève réconciliation pouvaient divorcer pour altération définitive (Cass. Civ. 1ère, 25 nov. 2009, pourvoi n° 08-17.117).

Exemple : Monsieur A a quitté le domicile conjugal il y a 3 ans suite à des violences répétées de son épouse. Malgré une tentative de réconciliation l’année suivante, les époux ont continué à vivre séparément. Monsieur A peut demander le divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Un divorce quasi-automatique si la cessation est avérée

Dès lors que la cessation de la communauté de vie pendant au moins deux ans est établie, le juge aux affaires familiales est tenu de prononcer le divorce. Même si la procédure a été initiée sur un autre fondement, il est possible d’invoquer l’altération définitive du lien conjugal en cours d’instance, y compris pour la première fois en appel (Cass. Civ. 1ère, 12 juin 2014, pourvoi n° 13-17.427).

Il existe tout de même une exception notable lorsque les époux ont maintenu ponctuellement certains aspects de la vie commune (activités parentales, loisirs communs, comptes bancaires joints…). Dans un arrêt du 14 mars 2012, la Cour de cassation a refusé le divorce, estimant qu’il n’y avait pas réellement cessation de la communauté de vie malgré des domiciles séparés (Cass. Civ. 1ère, 14 mars 2012, pourvoi n°11-13.922).

Bon à savoir : Le divorce pour altération définitive du lien conjugal peut aussi être refusé si une procédure de divorce pour faute est déjà en cours et très avancée. Dans ce cas, le juge pourra préférer statuer sur les torts des époux.

Des dommages et intérêts possibles pour le défendeur

Lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux demandeur, le conjoint défendeur peut obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 266 du Code civil. Encore faut-il que le divorce lui cause des conséquences d’une particulière gravité, qu’elles soient d’ordre matériel ou moral.

La Cour de cassation veille à ce que ces dommages et intérêts réparent un préjudice distinct de celui déjà pris en compte pour fixer la prestation compensatoire. Ainsi, la perte des avantages matrimoniaux ne peut justifier à elle seule l’allocation de dommages et intérêts (Cass. Civ. 1ère, 18 janv. 2017, pourvoi n° 15-27.282).

Exemple : Madame B, artiste peintre, a dû interrompre son activité professionnelle pour suivre son mari muté à l’étranger. Après leur séparation 5 ans plus tard, elle demande des dommages et intérêts pour la perte de notoriété et de revenus occasionnée. Le juge pourra faire droit à sa demande si elle démontre un préjudice certain et direct.

L’aménagement des conséquences patrimoniales et extrapatrimoniales

Une fois le divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal, le juge doit statuer sur ses effets. Il fixe notamment le montant de la prestation compensatoire destinée à corriger la disparité créée par la rupture du mariage dans les conditions de vie respectives. Son montant est apprécié souverainement par les juges du fond (Cass. Civ. 1ère, 11 janv. 2017, pourvoi n° 15-27.323).

A noter : Depuis la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, le juge peut accorder la prestation compensatoire sous forme d’un capital, d’une rente temporaire ou viagère, ou d’un mélange des deux.

Concernant les enfants mineurs, le juge statue sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, la résidence des enfants et le droit de visite et d’hébergement. Dans un important arrêt de principe rendu le 14 mars 2018, la Cour de cassation a jugé que l’intérêt supérieur de l’enfant devait primer toute considération sur les torts des parents dans le contexte d’un divorce pour altération définitive (Cass. Civ. 1ère, 14 mars 2018, pourvoi n°17-24.861).

Bon à savoir : Pendant la procédure de divorce, il est possible de saisir le juge aux affaires familiales en référé pour obtenir des mesures provisoires urgentes concernant la résidence séparée, la contribution aux charges du mariage ou l’autorité parentale.

En définitive, le divorce pour altération définitive du lien conjugal offre une voie pour mettre un terme à des mariages où la séparation de fait des époux a anéanti toute vie commune. Mais cette procédure contentieuse n’en reste pas moins douloureuse, d’autant qu’elle ne met pas les époux à l’abri de demandes indemnitaires ou de conflits sur les conséquences patrimoniales et l’intérêt des enfants.

Quelques conseils pour anticiper au mieux un tel divorce :

  • Faire un point précis sur le patrimoine du couple (immobilier, comptes, assurances-vie…) pour préparer sa liquidation
  • Réfléchir en amont à l’organisation pratique concernant les enfants (résidence, rythme de garde, contribution financière…)
  • Privilégier la médiation familiale pour apaiser les tensions et parvenir à des accords
  • Consulter très tôt un avocat spécialisé pour connaître précisément les implications juridiques, personnelles et patrimoniales.

L’essentiel à retenir

  1. Pour obtenir le divorce pour altération définitive du lien conjugal, il faut prouver une cessation continue de la communauté de vie depuis au moins 2 ans, quels que soient les torts des époux. Le juge doit le prononcer, sauf maintien ponctuel d’aspects de vie commune.
  2. Le conjoint défendeur peut demander des dommages et intérêts si le divorce lui cause un préjudice distinct d’une particulière gravité, matérielle ou morale. La prestation compensatoire est fixée par le juge pour compenser la disparité dans les conditions de vie.
  3. L’intérêt de l’enfant prime sur les considérations liées aux torts des parents. Pendant la procédure, des mesures provisoires urgentes peuvent être demandées au juge concernant la résidence, la contribution aux charges et l’autorité parentale.